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jeudi 6 décembre 2018

Les Yeux dans le Bleu à la Paroi d'Anterne



Il y a encore des étoiles dans mes yeux en repensant à cette journée d’automne. Le genre de journée que la Haute-Savoie nous offre parfois en octobre, il faut juste savoir la saisir. L’an dernier j’en avais profité pour passer une belle journée en altitude dans Digital Crack. Cette année, les Fiz sont sèches et me narguent encore de ses hautes parois. 3 ans que j’ai envie de rendre visite à la paroi d’Anterne, depuis que j’habite au pied.

Le topo des Yeux dans le Bleu fait par Robin Revest
Savoir saisir sa chance mais aussi savoir la provoquer : « Tu serais assez fou pour venir de Nice te mettre une mission à la paroi d’Anterne dans la semaine ? ». J’ai tapé à la bonne porte au niveau de la folie et de l’envie de grimpe, Alex est motivé pour les Yeux dans le Bleu !

L1 7b+
  Je ressens encore l’appréhension et l’excitation lors de la préparation, synonymes pour moi de journée importante et audacieuse. Appréhension car en octobre, le refuge Wills est fermé. C’est soit le refuge d’hiver, synonyme de poids en plus, soit une grosse journée voiture-voiture avec une longue approche à rajouter à la grimpe. Faut-il rappeler que la marche est loin d’être mon fort ni ce que je préfère…. ?

L1 7b+ avec un rayon de soleil
 Après concertation, nous optons tout de même pour la deuxième option, choisissant le confort d’une bonne nuit dans le camion au détriment de mes petites jambes. Mais des fois, l’envie est plus forte. Malgré le départ à 5h du parking et les 3h d’approche, je ne vois pas trop passer le temps et pour une fois ne subit pas la marche ! #unbelievable 

Fin de L2 6c
Alex commence dans la première longueur qui se trouve être déjà une bonne entrée en matière à froid. Je poursuis et comme souvent quand la cotation est plus facile, les points disparaissent. Le choix entre une fissure ouverte et herbeuse et une dalle compacte et, il faut le dire un peu glissante, mais amenant directement au point suivant, est cornélien. J’opte étonnamment pour la fissure et me retrouve à engager une traversée/redescente délicate vers ledit point… Gloups ! Ça commence fort !

L3 7c en plein gainage pour ne pas tourner
 Nous poursuivons ainsi en réversible dans ces dalles grises couverte d’une couche de je-ne-sais-quoi qui rendent les adhérences précaires en termes de sensations. Pas de zipette à déplorer pour ma part mais le ressenti oblige un gainage supplémentaire, au cas où… Le rocher, dans cette partie basse, a décidé de se former à la verticale et en pente : pas une seule prise franche à l’horizon et un enchaînement de déséquilibre vers la droite. C’est un peu comme si les prises étaient les gonds d’une porte et la porte, ton corps. Constamment !!

Lecture à gogo pour L5 en 7c/+
 A ces difficultés techniques s’ajoute la lecture qui n’est pas évidente. Evidemment, il n’y a pas une trace mais c’est aussi pour ça qu’on est là… La lecture est complexe car la voie est continuellement en traversée. Pas une seule longueur ne va tout droit. Il faut alors choisir entre passer au-dessus du point ou en-dessous. L’apothéose a lieu dans la 5eme longueur en 7c/+ où Alex décide par le haut. Il erre peut-être 5 min à monter descendre, sans trouver la clef, pour finalement s’engager et casser une micro prise d’équilibre de pouce. Chute en trav’ et le doute s’immisce en moi nos chances de réussite car je me dis que s’il ne passe pas, je n’ai aucune chance non plus. Finalement, le passage par le bas était plus aisé et logique et je m’étonne, avec les prises marquées, à enchaîner toute la section retors et la fin de longueur, évitant par la même occasion, un pendule désagréable ! C’est incroyable comme la difficulté est changée quand le décryptage et l’indication des préhensions sont déjà faits. Qui plus est dans ces styles à errance suprême où la moindre aspérité peut sauver un passage ou le compromettre si elle souhaite garder l’anonymat calcaire.

Fin de L6 7b avec un beau paysage
 Avec tout ça, nous n’avançons pas bien vite et nous commençons à douter de notre sortie avant la nuit si nous n’accélérons pas un peu. Sachant que la retraite est difficile avec le socle schisteux, cette nouvelle sensation de doute et d’incertitude rajoute un peu de pression à l’entreprise.

Heureusement, nous touchons à la fin de la partie grise et une partie plus raide sur rocher jaune à crépis s’offre à nous. Le style change radicalement. Les prises sont plus franches et la lecture bien plus aisée. Il en résulte que nous sommes bien plus rapides ! Ouf !

Début de la trav de L7 7b
 Arrive alors une longueur un peu redoutée, la 7eme longueur en traversée en 7b. 15 mètres en traversée pour 4 malheureux mètres d’altitude gagnés ! Pas très rentable cette histoire ! En tête ou en second, la peine est la même. C’est au tour d’Alex d’aller devant. Au jeu des redescentes la lecture reste laborieuse et malgré l’expérience, il subit le réversible qui impose d’enchaîner deux longueurs d’affilée. En un vol, retour au relais ! Maintenant que le vol est démystifié et le crux à peu près repéré, il repart et enchaîne la longueur. Pour autant, je n’ai pas forcément envie de tester le plomb en second… Je serre les prises plus que jamais et laisse un bon paquet de force dans l’affaire mais arrive sans poussée d’adrénaline au relais suivant.

Blocage à la hanche pour ne pas tomber dans L7 !
Fin de L7
Cette fois-ci, c’est à mon tour de subir le réversible ! Je repars dans la longueur suivante, cuite avant même de commencer. Sur le feu, une longueur en 7a+ supposée engagée. Je découvre alors des sensations inconnues et dont je me serais bien passée. Je ne maîtrise plus mon corps : tremblements, daubante extrême en moins de deux mouvements et plus je me concentre à serrer les prises plus j’ai les doigts qui s’ouvrent… 
 Je peine déjà en point à point avant d’arriver au crux de la longueur. A cet endroit, le point suivant est situé 4-5 mètres plus haut et 4-5 mètres à droite. En plus, il est indiqué dans le topo d’y arriver par la droite où un bac salvateur s’y trouve pour le clipper. Je fais un premier essai en tirant droit vers le point ce qui me permet de repérer quelques prises et il me semble deviner le fameux bac encore 2 mètres plus haut. Demi-tour obligatoire moins une avant la chute, ne maîtrisant plus ma tenue de prise. Le prochain essai sera « a muerte » ! 
 J’optimise les premiers mètres repérés, engage un mouvement aléatoire, revalide visuellement la prise considérée comme bac salvateur et me prépare pour envoyer dessus. En guise de main gauche, je n’ai rien trouvé de mieux qu’une cupule goutte d’eau que j’arque en mono. Vu la faible raideur du mur, j’aurais habituellement très bien tenu cette prise. Mais là plus je me concentre pour l’arquer un peu plus fort et transmettre à mon biceps, plus je sens qu’elle m’échappe. Il ne faut pas tarder une seconde de plus et je me rue sur la prise anticipée. « Aaaaaaah !! ». A peine la prise touchée que ce son sort de ma bouche. Celle que j’avais repérée est en fait un leurre et je vais tomber, je suis déjà en train de tomber. Mon corps et mon cœur l’ont compris ! Cette chute que j’ai voulu éviter et que je pensais pouvoir dominer avec le mental et la rapidité va bien m’avoir ! 
 Mais un sursaut de lucidité et certainement un instinct de survie n’acceptent cet échec et prennent le dessus en moi. Mon bras droit se déplace à la vitesse de l’éclair et mes doigts se précipitent sur le réel bac que je n’ai même pas eu le temps de repérer consciemment… 
 Cela arrête ma chute à peine entamée et tout ce surplus d’émotions m’amène à éclater de rire avant même de poser la dégaine et de me sécuriser. Je déborde de joie à l’idée d’avoir réussi à éviter un moment désagréable et les frissons que me procurent autant d’émotions me rappellent que c’est bien pour ces sensations que je grimpe !

Fin de L8 7a+, le gaz se fait sentir
  La fin de longueur est laborieuse vu l’état de fraicheur et une pause m’est nécessaire alors je propose de laisser la main pour les deux prochaines longueurs pour ne pas avoir à les enchaîner d’affilée et à la place festin ! Un sandwich plus tard, l’énergie est remontée et j’enchaîne la 11eme et dernière longueur dure en 7a, plutôt bloc, à lecture et prise de décisions !

Début de L9 7c
Fin de L9
 Il ne nous reste que la partie sommitale qui ressemble étrangement au socle schisteux. Les deux friends que nous avons emportés (0,75 et 1) s’avèrent indispensables pour les deux dernières longueurs (comme pour la plupart des autres longueurs d’ailleurs pour atténuer l’engagement) et Alex se retrouve à tirer une longueur de 60m toute en traversée pour atteindre le plateau. Un brin d’alpinisme refait surface pour me rappeler que la paroi d’Anterne n’est pas une face anodine et que la course est plus que complète et s’éloigne drastiquement d’une basique grande voie en calcaire.

Fin de L10 7b
Fin de L11 7a
 L’arrivée au sommet, dans les pentes herbeuses et ensoleillées des alpages d’altitude, contraste avec l’austérité de la paroi et la journée d’efforts que nous venons de vivre dans l’ombre de la face. Le franchissement du dernier bloc qui donne accès aux pâturages accueillants marque la frontière symbolique entre le monde vertical et pédestre. La tension, les doutes et la pression peuvent enfin retomber et laissent place au relâchement. Il est 17h et nous profitons de quelques minutes pour savourer ce moment hors temps devant le panorama de la chaîne avec un cours de géographie montagnarde au passage. Puis c’est l’heure de repartir… Il nous reste encore 3h de marche par les chalets de Sales pour retrouver le camion.

Un panorama qui mérite le déplacement
 Cette voie me faisait rêver depuis plus de 3 ans et je suis contente d’avoir été assez patiente mais persévérante pour attendre le moment opportun et apprécier cette journée dans sa globalité, à sa juste valeur et dans les meilleures conditions. Encore un beau moment de grimpe et de partage à deux pas de la maison !




4 commentaires:

  1. Tu confirmes que cette voie est mythique ! Beau recit, merci !

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  2. Tu confirmes que cette voie est mythique ! Beau recit, merci !

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  3. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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