5 janvier 2018
Papa,
Je me souviens, les photos aidant, des premiers blocs grimpés au gré de
balades en montagne. Tu me parais en cas de chute et je me sentais la reine du
monde au sommet de mon petit bloc de 2 m. Tu me montrais des edelweiss aux
pétales de velours, je sais à quel point cette fleur te touchait, ou des
œillets qui sentaient si bons. Tu m’as fait croire longtemps au dahu et je suis
fière de pouvoir apprendre à mes collègues alpins ce que sont des isards, cette
bête si étrange des Pyrénées…
Tu m’as donné le goût de la montagne et transmis des valeurs qui m’ont
construite et qui donnent un sens à la vie que je mène et à la femme que je
suis devenue : le respect et l’amour de la nature et de la montagne, le
goût de l’effort et du dépassement…
Je me souviens que lors des randonnées que nous faisions, tu marchais
toujours devant et je devais garder une certaine distance derrière toi pour
avoir le temps de m’arrêter et ne pas te rentrer dedans en cas d’arrêt
impromptu. Sinon c’était l’engueulade. Ca m’énervait ! Qu’est-ce que ça
m’énervait ! Etre en pleine nature et être contrainte par un code de
civilité montagnarde inventé de toute pièce !
Maintenant je souris en me rendant compte que je fais la même chose et
que cette fois c’est moi qui m’énerve quand quelqu’un me rentre dedans quand je
m’arrête subitement pour admirer une belle falaise… Tu m’aurais donc transmis aussi
un peu de sagesse… ?
Je me souviens par contre, qu’en bon écrivain et littéraire, tu
accordais une importance particulière à la culture et à la lecture. Quels étés
j’ai dû passer à lire les grands classiques de la littérature française !
J’appréhendais les interrogatoires, pendant les repas, des livres en cours que
tu connaissais évidemment par cœur. Je n’étais certainement pas exemplaire de
ce côté-là mais il me reste néanmoins de bons souvenirs notamment du classique
de Stendhal « Le Rouge et le Noir ». Un peu moins des poésies des
« Fleurs du Mal » de Baudelaire dont le sens et la beauté me
passaient bien au-dessus de la tête…
Tout de même, je dois reconnaître que ça a du bon de forcer un peu ses
enfants. Malgré mes réticences, tu m’as fait aimer la lecture et surtout
l’écriture qui me permet maintenant de transmettre, à mon petit niveau, mes
aventures passées sur le rocher aux quatre coins du monde.
Enfin, je me souviens de la Sierra de Guara. Tout d’abord ce lieu était
synonyme de vacances, de vie aragonaise hors du temps, sous un soleil de plomb,
à littéralement camper dans ce poulailler que tu appelais maison… mais qui me
plaisait tant. Nous nous baladions, tu me racontais l’histoire du village et
surtout celle de la Cuca de Bellosta, ce monolithe si caractéristique du
Mascun. Au premier coup d’œil, il m’a fait rêver.
Une fois, nous étions allés surplomber le Rio Vero. Tu me disais que
c’était toi qui en avais fait la première. J’étais devant ce canyon géant,
impressionnée par l’ampleur de ses faces rocheuses. Nous n’y étions pas allés,
tu étais déjà trop âgé pour m’amener le faire. Heureusement, des années plus
tard, j’ai eu la chance d’y aller avec une bonne amie, Laureline, et mon
impression, encore, a grandi face à la beauté de ses lieux.
Par la suite, j’ai découvert les parois incroyables que recèle le
canyon de Mascun. S’en est suivi un pèlerinage quasi systématique à chaque
vacance scolaire profitant de la douceur de vivre de Rodellar, de l’ambiance si
particulière de ce petit village du bout du monde et de cette communauté de
passionnés de la Sierra.
Il y a 3 mois, j’ai pu grimper la Cuca de Bellosta et concrétiser ce
rêve que j’avais depuis toute petite. Je suis fière de cette réalisation car
elle représente pour moi tout un symbole de passation et de transmission de l’amour
que nous portons pour la Sierra de Guara. J’ai l’impression, avec cette
réalisation, de t’y faire honneur et de porter haut, à ma manière, les valeurs
que tu m’as transmises.
Il me reste pourtant le plus beau des canyons à faire, le Mascun
supérieur. Je sais que tu voulais que je le remonte et que je te donne mon avis
des difficultés. Je commencerai par le descendre, hein, et le ferai en ton
honneur ce printemps… Quelle chance j’ai de l’avoir gardé et de pouvoir le
faire en le savourant et en pensant à toi….
Merci pour tout ce que tu as fait et tout ce que tu m’as apporté…
Ce printemps a été l’un des plus
pluvieux de la Sierra. Si bien que la plupart des canyons étaient impraticables
ou du moins il fallait bien s’y connaitre pour faire quelques sorties. Le
Mascun supérieur, joueur avec l’eau, n’a pas dérogé à la règle et ne s’est pas
laissé approcher.
J’ai tout de même pu faire mon
pèlerinage en Sierra, le cœur serré, et honoré ta mémoire en grimpant une magnifique voie sur le Tozal del Vero, au-dessus du Rio Vero. Quel bonheur de surplomber ce canyon et d’admirer chacun à notre
façon les paysages de cette région. Mon esprit vagabondait à chaque relais des
parois de San Pelegrin au chaos de blocs sous la casquette, des estrechos aux grottes où tu avais bivouaqué
et trouvé jadis des peintures, traces d’autres ayant eu la même idée que toi. Je me suis d'ailleurs surprise et amusée à chercher quelques traces du passé
sur les parois d’une petite grotte en plein milieu de la paroi.
Pour l’occasion, nous avons fait « Vertigo ». Connue (ou pas
d’ailleurs) pour être une des plus jolies voies de la Sierra de Guara, elle
mérite bien sa réputation. A l’ombre le matin, elle remonte la partie droite du
Tozal sur 300m avec une première partie plutôt déversante qui rassemble les
plus grosses difficultés (jusqu’à 7c) puis après une vire caractéristique le
changement de style est radical et on se croirait dans le Verdon avec des
longueurs dalleuses jusqu’à 7a.
L1 |
En parlant de cette vire, ce qui
est bien en Espagne c’est que le bar arrive même dans les parois ! Après
2h de grimpe à l’ombre, cette plateforme parfaite nous offre sa plus belle
courbure pour profiter du soleil en mode chaise longue. En fonction de votre
partenaire de cordée, vous aurez droit à une planche charcuterie-fromages
accompagnée de son eau fraiche et du carreau de chocolat qui va bien ou bien… à
une simple barre de céréales desséchée. J’étais plutôt chanceuse, avec Rémi,
c’est toujours le festin !
Le rocher dans la deuxième partie
de la voie est absolument incroyable. En plus d’être compact et semblable au plus
beau calcaire non patiné du Verdon, certaines longueurs font penser à des grès
doux avec une adhérence ultra agréable. Rien que pour ce toucher, il faut faire
le déplacement !
Pour être serein, il faut prévoir
de prendre quelques friends (du 0,4 au 1 environ) pour la L1, L4 et la dernière
longueur. Avec Rémi, nous avons pu tout enchaîner à vue en réversible mais nous
n’aurons pas réussi à libérer le mètre d’escalade en A1 de L9. Mes compétences
en artif sont d’ailleurs à améliorer vu l’effort qu’il m’a fallu fournir pour
passer ce bombé... Aux faibles cuissots, je vous conseille de prendre un
étrier !
Voici le topo. Ne vous laissez
pas impressionner par les cotations. Elles sont plutôt gentilles et
l’équipement, hormis dans les longueurs à compléter, est dense. C’est vraiment
une belle voie plaisir, qui déroule dans un cadre superbe et isolé…
Attention, après quelques
recherches post grimpe et renseignements complémentaires, le Tozal del Vero
n’est autorisé à la grimpe que du 1er août au 30 novembre… Oups !
L’info n’est pas facile à trouver et les périodes auxquelles les voies ont été
ouvertes nous ont laissé croire que nous pouvions y grimper. Mea culpa…
Le bar du Tozal del Vero |
Damien et Benoit dans le haut verdonesque |
Dans L5 |
Topo Vertigo |
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