El Topo… Cette voie est dans ma tête depuis plus de 2ans.
Ouverte pour l’artif en 1981 par Marco Troussier, elle a été rééquipée en 2008 pour
le libre.
El Topo : voie B |
En 2018, après discussions avec des copains qui avaient été dans la ligne, j’étais descendue repérer le 7c en 11 eme longueur car d’après eux, cette escalade était « lunaire » et plus dure que le 8a deux relais au-dessus. A ma grande surprise, j’enchaîne cette longueur, dans mon style il faut dire, à vue. Nous nous préparons pour repérer le 8a quand un énorme orage éclate. A l’abri, dans la petite grotte du relais, nous attendons que la pluie s’arrête pour remonter sur nos stats, tout penaud.
En 2018, repérage furtif |
Je me dis alors que ce serait un
joli objectif, certainement réalisable. Mais pendant ce séjour, une chaleur
écrasante nous accable et nous partons nous réfugier dans les dévers de Dame
Cookie… Une autre histoire !
Puis deux années sont passées
sans revenir dans le Verdon pour des grandes voies. Alors quand cette année,
nous prenons le temps avec Max de séjourner dans ce paradis de la grimpe, l’idée
cachée dans un coin de ma tête refait bien vite surface !
D’autant plus qu’il semble que
cette saison, la voie est à la mode. Jérôme et Johanna s’y sont lancé en mode
projet et travail des longueurs et Johanna n’est d’ailleurs pas passée loin du
tout de l’enchaînement. De quoi discuter de stratégie d’approche, longueurs
clefs et optimisation de bivouac avec eux !
Repérage de L13 8a |
Nous décidons d’aborder la voie en passant une après-midi pour repérer le 8a situé en 13eme longueur. Après une montée de repérage, je l’enchaîne au premier essai. Puis un autre jour, nous descendons repérer L9 7a expo et L10 7b+ grâce à une moulinette de 70 m ! C’est notre 3 journée de grimpe d’affilée ce jour-là et nous ne tenons plus une prise. Entre râlements, plaintes et souffrance, nous déchiffrons tant bien que mal les mouvements. Puis je pars redécouvrir L11 en 7c et là encore, c’est la débandade… Je me demande bien comment j’ai pu faire ça à vue… Après plusieurs tentatives, je finis par trouver quelques séquences qui fonctionnent et nous remontons au sommet.
Départ ! |
A présent, il nous reste plusieurs possibilités, nous connaissons 6 longueurs sur 14. Soit nous faisons une journée en partant du sol pour découvrir et assimiler les 8 longueurs manquantes dont deux 7b+ sur gouttes d’eau dans un pur style verdonesque, soit nous partons du bas pour tenter l’enchaînement en ayant la moitié de la voie à faire à vue (ou en peu d’essais) pour espérer avoir suffisamment de peau sur les doigts pour finir décemment ! La décision est difficile à prendre car entre la reprise de la formation et la météo, il ne reste qu’un créneau de 2 jours. Si nous passons une journée de plus à repérer, nous ne pourrons pas tenter l’enchaînement et y’aura-t-il un autre créneau les week-ends à venir ? Nous optons donc pour la tentative d’enchaînement sur les 2 jours de beau et prenons le risque d’échouer. Mais ne dit-on pas « A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire » ? Alors prenons des risques !
L2 6b |
Nous récupérons un portaledge et après deux jours de repos et de grosses pluies dans le Verdon, nous sommes fin prêts ! La ligne est principalement sur du mur gris donc sèche vite. Les pluies torrentielles de la veille ne m’inquiètent pas trop. Mais lors de la descente en rappel, je déchante en voyant que la fissure de L10 en trempée. Sachant que nous avons laissé des cordes statiques jusqu’au pied de L11 et nos affaires de bivouac en haut de L11, nous serons bien obligé de passer cette 10eme longueur coûte que coûte ou bien ce sera le but ! Gros coup de pression avant mêle de commencer ! Avec autant de préparations, je m’en veux de ne pas avoir laissé une corde de plus dans cette longueur et surtout de ne pas avoir anticipé qu’elle pouvait rester mouillée.
L3 6c+ |
Pour l’ascension, Max commence par faire les quatre premières longueurs devant.
L1 : 6c+, bloc au tout début
puis déroulante. Se termine par une courte cheminée heureusement baqueuse.
L2 : 6b, jolie dans un mur
orange.
L3 : 6c+, un dévers sur bacs
puis un petit réta à lecture.
L4 7b |
L4 : 7b, une traversée sur de bonnes prises puis quelques mouvements rési sur réglettes quand il s’agit de remonter tout droit.
Dévers |
Puis je prends le relais à partir de L5. C’est là que les difficultés verdonesques commencent. Du mur gris et des gouttes d’eau sont au programme pour les quatre prochaines longueurs.
L5 7a |
L5 : 7a, technique et à lecture. Ca louvoie entre les points sur des prises pas toujours franches
L6 : 7b+, première vraie
difficulté et défi à vue. C’est une traversée vers la droite sur de micro lames
et gouttes d’eau. Je serre de mauvaises prises et m’en sors pour arriver au
relais suspendu en réalisant cette longueur à vue. En second, c’est quasiment
impossible à travailler et Max me rejoint sans pouvoir trop chercher les
solutions.
L7 7b+ flashée par Max |
L7 : 7b+, deuxième défi à réaliser à vue pour garder de la peau. Tout commence par une traversée à droite que je négocie trop bas me fait déjà forcer puis se poursuit par une fissure moins dure, un mur à trous digne de Céüse avant de finir par un mouvement obligatoire à allonge que je passe à bout de doigts. Le relais est deux mètres au-dessus à gauche mais de grosses gouttes d’eau m’attirent à droite. Ma lecture me dit que je pourrai éventuellement rejoindre le relais en remontant tout droit et en traversant ensuite. Mais quand j’arrive sur les prises que j’avais repérées, elles sont intenables, je me déconcentre un instant et zippe pour une belle chute ! Arf, je suis bonne pour refaire toute la longueur ! C’est le jeu ! Par la gauche, je repère les prises et ce n’est finalement pas si complexe. Le plus dur demeure le mouvement d’allonge que je n’arrive plus à refaire sans influx. J’opte donc pour un mouvement dynamique, difficile à caler. Je redescends, me repose 10 min et repars. En moins de deux je suis au relais sans avoir rater la prise de réception de mon mouvement dynamique ! Cerise sur le gâteau, Max enchaîne la longueur flash !
L8 6c+ de la mort |
L8 : 6c+, longueur aussi exigeante que la précédente, juste moins raide. Il poursuit devant mais ses doigts ont déjà trop souffert. Je le rejoins en serrant les dents et plissant les yeux, le soleil rasant en pleine figure. Rien de mieux pour trouver les prises cachées !
Nous faisons une courte pause au pied de L9. Courte car ce jour-là il y a un vent de dingue et nous venons de passer à l’ombre. Nous sommes complétement gelés ! Max a ma grosse doudoune et je grelotte dans la doudoune light. Pas le temps de s’arrêter… Pour le coup, les conditions de grimpe sur petites prises sont bonnes mais pour profiter et récupérer, un peu moins. Et je sais que si je me relâche et me repose trop, l’influx risque de s’en aller et je n’arriverai plus à repartir.
Je poursuis dans L9, un 7a avec 4
points carrément espacés sur du rocher douteux. Ca ne donne pas envie de
tomber. J’y vais au mental, j’oublie la douleur dans les doigts et ça passe.
Toujours L7 7b+ |
Nous voici au pied de la 10eme longueur, le 7b+ en fissure qui était trempé le matin même. L’objectif est de réussir à passer pour pouvoir récupérer nos affaires et poursuivre. J’ai la pression mais je me dis que si je n’y arrive si c’est trop mouillé, nous pourrons toujours dormir au relais supérieur et réessayer le lendemain. Une nuit de plus pour sécher !
Je pars tout de même le couteau
entre les dents en frissonnant. Les premiers mouvements vont bien vite me
réchauffer. Malgré les difficultés à comprendre les mouvements quelques jours
auparavant, l’influx est bien présent, me pousse et j’arrive au pied du crux
sans trop d’effort. Malheureusement il est toujours trempé. J’en informe Max et
le fait de l’énoncer à haute voix me fait vaciller. Le doute m’emporte quelques
instants mais je me ressaisis rapidement. Quitte à être là, autant tout donner
et essayer « a muerte » comme on dit ! Impossible de refaire la
méthode que j’avais calée qui consiste à changer de mains sur une mauvaise prise.
Mouillée comme elle l’est le risque est trop grande de glisser. Alors j’improvise,
prends un peu tout ce qui vient, humide ou pas, et bon gré mal gré, j’avance et
me retrouve au-dessus du crux à nouveau sur des prises sèches. Je n’en reviens
pas, Max non plus ! Par contre, j’ai donné dans ce passage. Il reste
encore 15 m de grimpe sur de meilleures prises mais proposant une escalade
physique. Il s’agit de gérer jusqu’au relais. Au prix d’un combat d’anthologie,
me reposant tous les deux mouvements, j’atteins le relais. D’un coup, toute la
pression se relâche ! On l’a fait, on ne butera pas avant d’atteindre nos
cordes fixes !
Max se charge d’aller récupérer
les affaires au relais supérieur et de tout redescendre pour installer le ledge
au pied de la 11 eme longueur en 7c. L’idée est de récupérer un peu et d’essayer
le 7c avant le dormir. Avec la gniaque, je sens que je peux le faire car il n’est
pas trop physique mais je n’ai pas les capacités de poursuivre dans le dernier
8a et enchaîner toute la voie à la journée.
La meilleure place |
Le temps de tout préparer et de s’installer enfin en position allongée est suffisant pour me sortir du mode combat et enchaînement dans lequel j’étais. La relâche prédomine et la chaleur accueillante du duvet m’appelle. L’essai sera pour le lendemain. Après tout, c’est certainement plus stratégique de récupérer et d’essayer avec toutes les chances de son côté vu que l’enchaînement à la journée est compromis.
La vie sur le portaledge s’organise
et nous profitons du calme des gorges pour se ressourcer. Une bonne nuit de
sommeil et nous nous réveillons sous un soleil radieux. Plus de vent et une
chaleur écrasante nous fait retirer petit à petit toutes nos couches. A 11h, on
doit être en mode maillot de bain et farniente sur notre transat de luxe !
Il fait vraiment trop chaud pour
grimper et nous sommes contraints d’attendre que la face repasse à l’ombre. C’est
le moment idéal pour s’imprégner des lieux et apprécier ses habitants. Nous
observons les hirondelles virevolter à toute vitesse en nous gratifiant de
pirouettes proche des falaise que même les meilleurs pilotes d’avions n’oseraient
pas engager. Les vautours quant à eux rôdent paisiblement sur les alentours,
planant parfois trois mètres sous notre terrasse et observant quelle proie fera
leur festin du jour. Nous savons notre chance de pouvoir profiter de ce spectacle.
Malgré tout, le contraste entre
notre immobilité, bloqués sur cette vire artificielle, et leur liberté de
déplacement est violent. Cela contribue à attiser mon impatience à grimper. Je
scrute sans arrêt l’heure et l’évolution du soleil. Si bien que le soleil à
peine caché, j’ai déjà les chaussons au pied, prête à en découdre. Je me lance
à froid, après être restée en position allongée ou assise depuis 18h !
Au fur et à mesure que j’avance,
je déchante en voyant que la pluie des jours précédents a effacé toute trace de
repérage. J’ai le crux bien en tête mais le reste un peu moins. Alors une fois
celui-ci passé à la limite de la chute, la pression est bien présente pour ne
pas avoir tout à regrimper. Je me mets à nouveau un combat d’anthologie pour
rejoindre le relais. Mes sensations de grimpe étaient catastrophiques, j’ai
grimpé sur la défensive tout le long dans la peur de tomber. Je n’ai de ce fait
pas du tout pris de plaisir dans cette longueur pourtant magnifique. Le
sentiment au relais est mitigée, d’un côté je suis soulagée d’avoir réussi
cette longueur et de l’autre, je suis énervée d’aborder de cette façon la voie
et je me rends compte que l’envie de réussir est en train de prendre le dessus
sur le plaisir d’être là…
L14 6c |
Max range notre campement que je hisse pendant qu’il grimpe. Puis il poursuit dans L12 en 6c, une traversée encore dans le plus pur style du Verdon avec mouvement immense de redescente qui se négocie en allonge ou par un petit saut !
Nous sommes alors dans la petite
niche au pied de L13 8a. Hyper confortable, nous pouvons nous asseoir et nous
étaler. Mes sensations dans le 6c étaient encore mauvaises. Je mets ça sur le
compte d’une petite hypoglycémie et fais une bonne pause en-cas.
Puis c’est l’heure d’y aller. La
longueur se compose de trois parties :
- - un premier mur sur mono et bi-doigts avec peu de
pied (environ 7b+) puis un bon repos en traversant vers la droite
- - s’en suit le premier crux, le plus dur pour moi,
qui consiste à tenir un petit bi-doigt main droite pour croiser sur une fente
avec peu ou pas de pied droit. Pour réussir, il convient d’être ou très souple
ou très bon pour charger des pieds inexistants ou très solide du biceps droit.
Pour ceux qui me connaissent, j’ai choisi la seconde option ! Puis
quelques mouvements résistants sur trous meilleurs amènent à un dièdre où il
est possible de récupérer.
- - enfin la dernière section est également une
traversée vers la droite où d’une épaule gauche avec des pieds corrects, on se
tend pour atteindre un bon trou main droite. Les pieds sont alors plutôt
inexistants et il faut croiser sur une bonne prise et transférer le corps à
droite pour rejoindre une strate salvatrice. L’arrivée au relais demande
également un petit calage sous peine de chuter le nez dessus !
Là encore, la pluie des derniers
jours a effacé tous mes repères. Je m’en sors dans la première section mais ne
retrouve pas le pied que j’avais littéralement inventé et identifié par un
point de magnésie. Sans cet appui, je n’ai aucune chance de faire le croisé
difficile. J’essaye tout de même et tombe plus énervée que jamais : « A
quoi ça sert de repérer et de préparer une voie s’il ne reste rien quand tu
essayes ? ». Au fond je suis épuisée, la peau des doigts complétement
broutée rend la tenue des prises plus difficile et j’ai cette volonté tenace de
réussir qui obstrue toute intuition de grimpe. Somme toute le plus mauvais état
d’esprit pour venir à bout d’un obstacle à sa limite.
Je poursuis la longueur en mode
repérage et en tentant de retrouver les sensations et les placements adéquats malgré
la chaleur omniprésente. En redescendant dans notre petite grotte, je suis un
peu à bout. J’explique à Max que je n’ai pas la bonne mentalité pour y arriver,
que je pense trop au but, que je n’éprouve aucun plaisir et que tout ceci me
frustre car j’en ai conscience et j’ai du mal à modifier volontairement ce
mental. Evidemment, il a remarqué tout ceci et ces mots vont me permettre de
lâcher prise sur cet objectif. Je me calme et quelques temps après, je retente
ma chance.
C’est fou ce que le mental peut
faire sur une performance. Je pense aux mouvements et uniquement à ce que je
dois faire dans les 15 prochaines secondes. La fatigue est bien présente dans
la première partie mais je récupère au repos. Je retrouve le pied identifié et
croise sans trop d’effort et poursuis jusqu’au repos suivant. Je m’arrête peu
car c’est dans ces moments-là que l’esprit peut divaguer et à nouveau se projeter
plus loin que deux mètres au-dessus de soi. Et puis curieusement, je ne suis
pas trop fatiguée au niveau des avant-bras. Je sais qu’il ne reste qu’une
section, que je la maîtrise et j’ai envie d’en finir. Je réalise cette séquence
parfaitement, en retravaillant même les prises pour ne rien laisser au hasard.
L’objectif se rapproche et je le sens. Je me distrais un peu sur la fin mais
pas suffisamment pour échouer et clippe le relais en hurlant de joie !
Happy |
Etre passée d’un état d’esprit si malsain et peu propice à la réussite à cette manière d’aborder à nouveau les difficultés, c’est ça ma vraie victoire ce jour-là ! Max grimpe à son tour. Les débuts sont compliqués après une si longue pause mais il parvient à enchaîner la dernière séquence pour la première fois ! Nous avons tous les deux envie de sortir maintenant ! Il reprend la tête et je le rejoins rapidement au sommet retrouver Linka qui nous attend sagement dans la niche que nous avons installée. Elle a passé la nuit avec des copains qui sont ensuite venus la ramener au sommet d’El Topo pour notre arrivée. Comme de la partie, elle nous fait la fête comme jamais et célèbre avec nous ce bon bout d’aventure !